Tech & Music Note

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Par Brice Homs
7 déc. · 4 mn à lire
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L’inspiration

A fond la forme ?

Plusieurs réflexions me sont venues, cette semaine, à l’écoute du podcast « I.A bénédiction ou malédiction » sur Spotify. 

Candice Smadja y recevait François Pachet, ingénieur, chercheur en intelligence artificielle, compositeur et jusqu’à très récemment, directeur du Spotify creator technology research Lab, à l’occasion de la parution de son livre « Histoire d’une oreille » (éditions Buchet-Chastel), que j’étais justement… en train de lire.

Pour tout auteur, écrivain, et aussi compositeur, au-delà des enjeux passionnants de l’intelligence artificielle se trouve ici posée la question de l’acte de création. De la singularité. De la « facture » (au sens de « faire »). Ce que l’on appelle en anglais le « craft ».

Et donc de l’inspiration.

https://open.spotify.com/episode/2Yqwnpm2F8Fx3NmMV8EDLn?si=lDQAxa7YR_umnQvdee157Q

Quand on parle d’inspiration viennent immédiatement à l’esprit deux notions, celle de référence (imitation) et celle d’émotion (sensibilité). 

La première peut être (en termes de collecte au moins) concurrencée voire dépassée par une intelligence artificielle qui pourra en un temps record ingérer, classer par « entrées », disséquer par critères, des quantités d’œuvres bien supérieures aux possibilités d’un esprit humain, et les imiter.

Vraiment ? Oui. Mais cette collecte ne lui donne pas pour autant une culture. Lui manque quoi ? Tout le reste. Tout ce dont ce livre nous parle…

Dans cet ouvrage remarquablement érudit, abondamment documenté (chaque chanson citée est accessible par un lien) et rédigé sur le ton de l’expérience personnelle, François Pachet retrace son éducation musicale. Éducation musicale comme l’on dirait éducation sentimentale. Soit, pour un musicien, apprendre à entendre, reconnaître, ressentir. Se « faire » une oreille. Et chercher un pourquoi, donc un comment, à ce qui se passe là. En lui. En nous. Il ne s’agît dès lors plus seulement d’apprendre, mais de comprendre.

Une émotion nait-elle d’un accord de septième diminuée ? Et si cet évènement harmonique la provoque, en quoi ?

La réponse est souvent, la surprise, l’inattendu, l’intéressant. Bref l’inspiration.

Mais cette inspiration, où se trouve-t-elle ? Faut-il une inspiration pour écrire une chanson, ou faire de la volonté d’écrire une chanson son inspiration ? De la poule ou de l’œuf, lequel précède l’autre ?

Source - Romain PoullesSource - Romain Poulles

Pour tout créateur professionnel, ou au moins régulier, ce processus est le fruit d’une culture, d’une discipline, d’une exigence, mais aussi d’une finalité. En début d’ouvrage François Pachet donne une première piste de réponse, s’insurgeant contre la remarque d’un professeur qui méprise « cette musique moderne (…) faite pour plaire » :

“J’ai longtemps été à la fois révolté et fasciné par cette phrase : c’est justement cela que j’aime dans les chansons, qu’elles soient faites pour plaire ! N’aime-t-on pas par définition ce qui est aimable ? Mon admiration plus qu’à telle chanson va avant tout à celui qui a eu le génie de la fabriquer.”

Donc plaire. Faire une bonne chanson. Mais au fait, c’est quoi une bonne chanson ?

L’IA ne le sait pas. Elle ne sait dire ni ce qui est intéressant, ni ce qui est bon. Elle ne peut s’appuyer sur aucun critère pour cela. Ce qui l’est pour moi ne l’est pas forcément pour vous. De la même façon, « l’émotion n’est pas dans l’objet, elle est dans l’interaction entre celui qui écoute ou regarde et l’objet. Elle n’est pas contenue dedans. » analyse dans le podcast François Pachet.

Le créateur, lui, saura… au final. « On ne sait pas exactement définir ce que l’on cherche mais on sait - on le sait - quand on l’a trouvé ! ». On sait que c’est bon quand on l’entend.

Le fameux principe de Sérendipité. Chercher une chose, mais en trouver une autre. L’important est de se mettre en train. Mais comment ?

Source - White PotatoSource - White Potato

J’avais exposé dans une précédente newsletter comment des artistes écrivaient leurs textes sur la musique d’une chanson préexistante ou, comme Bernie Taupin, parolier d’Elton John, se servaient d’une mélodie provisoire pour structurer un texte.

Des applications se proposent désormais de vous y aider sans ce subterfuge, comme par exemple l’appli « démo » créée par Mackenzie Moore (ex d’MCA records), Kyle Ryan (producteur d’album pour les superstars Kacey Musgrave ou Willie Nelson) et le designer Trey George.

Véritable petit studio demo est une sorte de couteau suisse du songwriting permettant, notamment si l’on travaille plusieurs chansons en même temps, d’organiser rapidement son inspiration. Mais aussi de bien répartir ses idées. Est-ce un couplet, un refrain ? Où cela marche-t-il le mieux ? Comment peaufiner une mélodie, une suite d’accord ? C’est en tout cas la proposition pour 5.99$ par mois, 39.99 $ par an ou 99 $ en une fois. Un investissement modeste par rapport au service rendu, et qui tient dans une poche.

Mais si l’on pense avec Victor Hugo que la forme c’est le fond qui remonte à la surface ? Il y a quoi avant la forme ?

La question de l’inspiration est vieille comme l’écriture. « Je ne me suis pas présenté comme la source produisant par miracle une eau pure, mais comme la terre et l’argile, je filtrais comme l’une, je rassemblais comme l‘autre, les vers jaillissaient à la fin.» écrivait Roger Caillois.

C’est ainsi que peuvent advenir des fulgurances, des choses qui paraissent soudaines, la fameuse chanson qui vient en cinq minutes sur un coin de table. Dolly Parton a écrit « Jolene » et « I will always love you » d’un trait dans la même nuit. Benjamin Biolay parlant de sa chanson « Négatif » témoigne : « Cette chanson-là, je m’en rappelle très bien, elle est venue d’un coup ».

Conscient de ce processus, François Hadji-Lazaro (figure des groupes Les garçons bouchers et Pigalle) déclarait qu’il ne commençait à écrire que quand la chanson était déjà faite dans sa tête. Une première version au moins.

Mais il y a quand même quelques petits trucs. Quelques outils. Pour allumer le feu-eu-eu  (spéciale dédicace Zazie), il suffit d’une étincelle. Alors, on a quoi dans la boite à outils ?

Quand j’animais des ateliers d’écriture au Studio des variétés à Paris, ou aux rencontres d’Astaffort initiées par Francis Cabrel et Richard Seff, je proposais aux jeunes artistes venant travailler avec moi de piocher une quarantaine de mots au hasard dans le « libé » du jour et de se déplacer de l’un à l’autre - de préférence dans l’ordre - pour trouver un trajet, un thème.

Bien sûr il n’en resterait peut-être pas grand-chose à l’arrivée, on changerait, on s’éloignerait, on bifurquerait, mais on se serait mis en route. Une idée pourrait bien sortir de tout ça. On pouvait même se contraindre à TOUS les utiliser. Ca demande un peu de temps et d’invention, mais c’est possible.

Je leur expliquais à titre d’exemple que le texte de la chanson « Violoncelle » chantée par Daniel Lavoie était né comme ça, de mots piochés ainsi au hasard dans un magazine. Saluée dans la presse canadienne comme « une immortelle », « un bijou d’écriture » ou « une merveille de candeur », cette chanson le doit sans doute au fait que, me trouvant face à des mots trop éloignés pour aller les uns avec les autres, j’en ai fait des verbes, des choses inattendues.

La contrainte, ou en tout cas un système appliqué et répété, est un bon moteur. La rime, un rythme. Serge Gainsbourg, grand joueur de mots et technicien habile, allait chercher l’inspiration dans des rimes uniques, par exemple en « va » dans la chanson Manureva, interprétée par Alain Chamfort.

Où es-tu Manu Manureva?
Bateau fantôme, toi qui rêvas
Des îles et qui jamais n'arrivas

Ou en « eme » dans Tandem, chantée par Vanessa Paradis et reprise plus tard par Shy’m.

Dans le mot je t'aime
Tandem
Autant d'M
Parfois ça brille comme un diadème
Toujours le même thème
Tandem
C'est idem

Si penser hors de la boîte est une bonne façon de surprendre, la rétrécir est le meilleur moyen de la remplir vite. Ne plus rien pouvoir changer ou enlever. Bref de terminer sa chanson.

Car comme l’explique dans le Podcast François Pachet citant l’écrivain Emmanuel Carrère : « Si on commence à enlever des trucs et à les remettre ensuite, c’est qu’on a fini. C’est que le texte est terminé. On ne pourra rien faire de mieux. Pour faire mieux il faudrait tout changer, faire un truc différent. ».

Une autre chanson peut-être.

Pat Pattison, professeur d’écriture américain, théoricien de la chanson, et auteur de deux best sellers sur le sujet, développe d’autres accès pour stimuler et déclencher la créativité dans son livre : Songwriting without boundaries (Penguin publishing group).

Il propose aussi sur la page web, Objet writing, un générateur de mots  - un mot par jour -  qui vous invite dans un temps imparti de 10 minutes (le compteur tourne), à partir d’un objet et le rapporter à vos cinq sens. Ce peut aussi être une notion (quand je l’ai fait, je suis tombé sur le mot : intelligence). Une façon ludique de lancer son inspiration.

François Pachet pose dans le podcast de Spotify la question de ce qui est intéressant ou pas.  Flaubert répondait par avance « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder assez longtemps ».  

C’est peut-être là le secret de l’inspiration. Passer du temps avec les choses, avec les gens.

 Et certainement aussi, à travailler son œuvre. Avec exigence

Comme le résume admirablement Ian Boudreau : pourquoi devrais-je m’embêter à lire quelque chose que personne ne s’embêterait à écrire…

Pas mieux !