Tech & Music Note

Tech, musique, cinéma, séries, édition... tout change et se mélange !

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Par Brice Homs
7 déc. · 3 mn à lire
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L’IA crée une chanson et une artiste

On peut faire mieux ?

Ainsi donc - et avec un compte certifié - une « autrice compositrice interprète » entièrement issue, comme sa chanson, d’une intelligence artificielle, est visible sur X (ex-Twitter), sous le nom d’Anna Indiana. Un nom qui bien sûr rappelle Hannah Montana – personnage incarné dans ses années Disney par la popstar Miley Cyrus.

source - X (ex-Twitter) source - X (ex-Twitter)

Cette référence n’est pas innocente car dans la série télévisée (culte) du même nom, la jeune Hannah Montana, star de la chanson le soir, cache sa véritable identité le jour, simple élève dans un lycée.

Elle l’est encore moins quand on réalise que, comme le nom de la chanteuse virtuelle, la chanson imite et démarque. Au moins, c’est écrit sur l’étiquette !

Source - DisneySource - Disney

Pour commencer donc, un bon « branding ». Une marque populaire pour faire le buzz. On voit déjà pointer une volonté d’occuper le terrain médiatique.

Le résultat n’a pas manqué cette semaine de poser question, et même sarcasmes.

Les YouTubeurs musicaux américains ont dégainé les premiers, et en nombre. Un post du guitariste et producteur Rhett Shull qualifie très vite cette tentative de désastreuse, « It’s terrible ». 

https://youtu.be/RonKDkT-bBg?si=CdyeRZBF9t-M0uF1

De nombreux autres musiciens lui emboîtent le pas. « Paroles stupides, développement harmonique aléatoires, playback de mauvais Karaoké », les jugements sont sans appel. Alors qu’en est-il ?

source - Rhett Shull - YouTubesource - Rhett Shull - YouTube

Le texte est une compilation de phrases assemblées autour d’un titre, « Trahie par cette ville », n’hésitant pas, pour faire poétique, à aller chercher l’oxymore « shattered hopes and silent screams » ou l’absurde : « defined to fall ».

« Rien qui soit mémorisable car rien ne fait sens » remarque Rhett.

Au niveau de la mélodie, on entend un assemblage dans lequel on peut reconnaître les influences musicales « étroites » qui ont nourri cette fabrication. Couplet et refrain évoquent en effet les premiers titres de Miley Cyrus (pour avoir passé des heures à les jouer à la guitare avec mes filles, j’ai le niveau expert !) autant que les premiers succès de Taylor Swift (idem). ;-)

Le phrasé du couplet démarque sur deux vers celui de « Love Story », titre iconique de cette dernière, et le refrain reproduit des écarts de notes « signature » de la chanteuse, mais dans un ordre qui ne fait pas grand sens.

Bref, tout ici est juste mais sonne faux.

Source - storyboard thatSource - storyboard that

Cette chanson n’est-elle, comme le pointent certains, qu’une sorte de monstre de Frankenstein fait de bouts assemblés ?

En fait, pour moi, cette courte vidéo montre exactement, et c’est là son intérêt, ce qu’une intelligence artificielle peut faire. Et ses limites actuelles.

On identifie bien comment elle a été « nourrie », et ce qui lui est demandé. Une IA ne fait - pour l’instant au moins - qu’exécuter des tâches. Sélectionner, identifier, comparer dans sa base de données, extraire, assembler, articuler. Effectuer, avec en sortie de prompt un résultat « dans le périmètre ».

Et ici peu convaincant.

On se prend à rêver  - en tout cas cela donne envie - qu’une intervention humaine vienne rendre cette chanson meilleure.  

Alors en quoi ? Que pouvons-nous faire pour l’améliorer en partant de ce prompt ? 

D’abord comprendre ce qui ne va pas.

Source - Rhett ShullSource - Rhett Shull

Les concepteurs ont eu la bonne idée de mettre à l’écran le fichier midi que l’algorithme a concocté :  on remarque à droite de l’écran, comme le pointe Rhett Shull, des écarts de notes importants qui ne sont au service d’aucune intention.

Je vous donne un petit truc très simple, à partir de l’expression: Ah oui d’accord ! Vous pouvez l’entendre ci-dessous :

Voilà un exemple que je proposais toujours, pour commencer, aux jeunes artistes qui venaient échanger avec moi quand j’animais des ateliers d’écriture de chansons.

Vous entendez bien qu’en fonction de la mélodie qui y est associée, cette courte injonction peut prendre au moins trois sens différents. Pourtant, même sans les mots, mon intention est audible.

Un bon songwriter fera attention à cela. Faire coïncider le sens et l’intention de la mélodie ou au contraire l’opposer. Mais à dessein. Au service d’autre chose. Les humoristes, les parodistes, ou même la pudeur elle-même, manipulent ces codes parfaitement. Pour que soit dit ce que l’on ne peut dire, que soit entendu autre chose que ce qui est dit.

C’est d’autant plus absent ici que la facture du texte souffre des mêmes maux, donc du même processus, que celle de la mélodie. Rapprocher deux mots distants ou opposés ne suffit pas à former une figure de style valide.

En grec ancien Métaphore signifie transport. Déplacement. Une métaphore va donc de quelque part à quelque part, c’est un déplacement du sens.

Quand Paul Eluard dit que la terre est bleue comme une orange, vous entendez qu’elle est ronde. Votre cerveau fait le trajet, il va de la couleur différente à la forme commune. L’IA non.

L’oreille est proche de l’œil, le son de la vue. Beaucoup de chansons sont de petits films. De minuscules scenarios.

Un auteur qui voudrait améliorer cette ébauche se demanderait surtout quel est le sujet du texte, ce que l’on veut dire au bout, et trouvera un cheminement pour arriver à ce que les psychanalystes appellent le point de capiton.

« Le point où viennent se nouer le signifié et le signifiant. ». Lacan a énoncé qu’il ne pouvait se trouver qu’une fois le dernier mot de la phrase prononcé. Ou de la chanson ?

source - Pigraï flairsource - Pigraï flair

Il faudra en tout cas à qui voudra retravailler cette proposition traiter le sujet, faire de la mélodie et du texte une chose en soi. Pas deux éléments superposés.

Une chanson n’est pas un tout égal à la somme de ses parties.

C’est une œuvre unique, pensée, ressentie et adressée.

Ayant encore fait l’expérience avec les nouvelles versions de Chat GPT ou de DALL-E, on voit bien malgré les incroyables progrès accomplis que multiplier et affiner les demandes va de pire en pire et pas de mieux en mieux. Car la machine ne comprend pas où je veux en venir. Elle regarde le passé, ce qui a été fait, pas l’avenir.

De nombreux créateurs l’ont bien sûr compris et s’en servent comme d’un outil, une matière à retravailler. Quand Benoit Carré, précurseur, compile 45 chansons des Beatles (en 2016 déjà) pour en créer une nouvelle : « Daddy’s car », il retravaille cette matière derrière pour lui donner du sens, de l’expérience humaine.

Est-ce là le futur de l’IA ?

Comme le signe le philosophe et auteur du roman Humus, Gaspard Koenig, dans une récente tribune publiée par le journal Les Echos : « Innover est le privilège d’un individu singulier, capable de projeter dans le monde une signification nouvelle. »

Or, « L’IA n’imite pas le processus créatif humain, elle en corrèle les résultats. »  

CQFD.