Tech & Music Note

Tech, musique, cinéma, séries, édition... tout change et se mélange !

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Par Brice Homs
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IA et énergie

Electric land ?

Dans une dépêche du 30 Août 2024, l’AFP (Agence France Presse) note que l’utilisation des plateformes d’intelligence artificielle par le grand public continue de croître à une vitesse accélérée. Les chiffres sont éloquents.

Meta AI, l’assistant appuyé sur le modèle de langage Llama 3, capable de répondre à des questions générées en langage courant ou de générer des images, comptait à cette date 400 millions d’utilisateurs mensuels.

Crédit image - Le Monde

META AI, en plus d’être accessible sur un site dédié, est annoncé comme étant intégré aux réseaux sociaux Facebook et Instagram ainsi qu’aux messageries WhatsApp et Messenger. A noter que Meta ne propose pas pour l’instant cette interface dans l’union Européenne, au Royaume uni, ni au Brésil, « manquant de visibilité sur l’interprétation par les autorités européennes du règlement général sur la protection des données » (RGPD).

Son concurrent OpenAI annonçait de son côté à plusieurs médias américains que son interface d’IA générative ChatGPT comptait plus de 200 millions d’utilisateurs chaque semaine, soit le double des utilisateurs hebdomadaires recensés en novembre.

Microsoft rapportait pour sa part que 77.000 entreprises clientes utilisaient Copilot, l’assistant du groupe, s’abstenant de communiquer sur le nombre exact d’utilisateurs.

Pas de chiffres pour l’instant pour une autre interface de plus en plus utilisée, Gemini, de Google.

Au vu des chiffres annoncés, on peut aisément en déduire que les investissements sont colossaux. C’est d’ailleurs proclamé.

« Après l’étincelle du numérique puis la flamme du cloud, l’intelligence artificielle allume le feu. La quantité de demande d’argent investi est incroyable », s’enthousiasme Charles Meyers, patron d’Equinix, un des grands opérateurs mondiaux de data centers, cité par un article du journal « Le Monde » en date du 14 juin 2024 intitulé : Derrière l’IA la déferlante des data centers.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/06/14/derriere-l-ia-la-deferlante-des-data-centers_6239694_3234.html

Peut-être Charles Meyers aurait-il dû mieux choisir sa métaphore car en effet, il y a le feu à la maison data, et pas seulement celui de cette flamme quasi olympique. Si l’on en croit Sundar Pichai, patron de Google : « Le besoin de calcul informatique a été multiplié par un million en six ans et il décuple chaque année ».

Oui, vous avez bien lu ! Si vous pensez que ce n’est pas le cas, prenez le temps de relire cette phrase : un besoin multiplié PAR UN MILLION EN SIX ANS et qui DECUPLE CHAQUE ANNEE.

C’est clair maintenant ? Tant mieux, car cela a des conséquences…

Crédit - Rick and Morty Amino

Comme le font remarquer les auteurs de l’article du Monde, Alexandre Piquard, Olivier Pinaud et Adrien Pécou : Une requête sur un assistant comme ChatGPT consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche classique sur Google, indique l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Un article du Figaro en date du 1er octobre 2024 signé Lucas Mediavilla en donne une image plus précise : Une requête sur ChatGPT consomme 2,9 wattheures, soit l’équivalent d’une ampoule LED allumée pendant soixante minutes. Multiplié par les dizaines de millions de requêtes qui arrivent chaque jour sur les serveurs de Microsoft, d’Amazon ou Google, la facture explose.

On est donc face à une course à l ‘énergie façon ruée vers l’or.

Source - Le Monde

Sera-t-on un jour obligé de choisir entre débrancher des data centers, des chauffages d’immeubles, des usines ou des transports ?  Dans certains états américains, le préachat par les datas centers de tranches d’énergie « vertes » (rendues obligatoires par le Biden Act) provoque déjà des coupures d’électricité pour les autres usagers, et crée scandale.

Pour éviter cela de nombreux patrons de la tech ont trouvé une parade : le nucléaire. Une énergie classée comme décarbonnée.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/09/23/les-geants-du-numerique-se-convertissent-au-nucleaire_6329378_3234.html

Microsoft a annoncé, vendredi 20 septembre, la relance de l’unité 1 de la centrale de Three Mile Island, en Pennsylvanie, fermée depuis 2019. Pour mémoire c’est dans ce site qu’avait eu lieu en 1979 l’accident nucléaire ayant mis fin au développement de cette technologie aux Etats-Unis. On se souvient du film « Le syndrome chinois » avec Jane Fonda et on peut voir la série documentaire sur Netflix qui est consacrée à cet accident (je mets le lien du trailer ci-dessous).

Crédit - Netflix

https://youtu.be/nAOIH8HRdDo?si=e0bHjINUqfob1uPO

Début mars, Amazon a racheté le campus de data centers attenant à la centrale de Susquehanna (Pennsylvanie), s’assurant jusqu’à 900 MW de puissance. Et de nombreux acteurs, dont Equinix, espèrent à terme intégrer dans leur centre des mini-réacteurs nucléaires ou « SMR ».

Microsoft a pour cela recruté fin 2023 Archana Manoharan et Erin Henderson, deux cadres de l’industrie nucléaire. Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, a aussi investi dans la start-up de mini-réacteurs Terra Power et Sam Altman dans Oklo.

La France n’est pas en reste.

Dans le bassin parisien, le besoin estimé de puissance électrique avoisinerait 7 GW à l’horizon 2030, soit cinq à sept réacteurs nucléaires, selon l’Institut Paris Région. Cécile Diguet, directrice du département transformations urbaines de l’agence d’urbanisme d’Ile-de-France, met en garde contre ce « processus d’accélération inquiétant ».

On annonce la création de nouveaux data centers géants à Marseille, du fait de sa proximité avec les câbles sous-marins, mais aussi Mulhouse, Lille, Toulouse, Lyon…

Source - Le Monde

Ghislain de Pierrefeu, expert en IA et associé du cabinet de conseil en stratégie Wavestone, exprime dans une tribune publiée par le journal Le Monde, un point de vue fort. Pour lui l’IA générative représente une vraie rupture en termes de consommation et d’impact pour trois raisons.

La première est que pour tendre vers une IA dite « générale », les modèles doivent être entraînés sur toutes les données du monde, et pour cela démultiplier les couches et les paramètres du réseau de neurones, ce qui nécessite des capacités titanesques.

La deuxième est la génération pour chaque consultation d’une réponse originale, dont chaque mot ou chaque pixel mobilise l’arsenal neuronal complet – ce qui revient un peu à utiliser un lanceur spatial spécifique pour chaque boulon de satellite…

La troisième est l’appétence du public pour ces nouveaux assistants, créant ainsi un nouvel usage qui risque bien de devenir aussi massif que celui de la voiture, des moteurs de recherche ou encore des smartphones.

Il conclut :

A l’heure où les besoins primaires tels que l’alimentation, l’accès à l’eau, le déplacement ou encore le logement deviennent des luxes pour une partie de l’humanité, on est en droit de se demander si parler avec une IA – aussi brillante soit-elle – est bien raisonnable pour sauver notre planète.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/16/l-intelligence-artificielle-est-elle-l-alliee-incontournable-ou-l-ennemie-incontestable-de-nos-preoccupations-environnementales_6211102_3232.html

Comme lui, de nombreux experts tirent la sonnette d’alarme, par exemple Sasha Luccioni de la start-up d’IA Hugging Face, qui a récemment tweeté :

 « Nous ne pouvons pas générer plus d’énergie par magie. Il faut arrêter de fourrer de l’IA générative partout et réduire sa consommation, immédiatement »

Source - X

Pour ses promoteur l’IA sera partie de la solution en aidant à améliorer les prévisions météo, mieux piloter les réseaux électriques, proposer des trajets moins émetteurs de CO2 ou innover dans les isolants et les batteries.

En attendant, selon l’article du Figaro : à cause de l’essor de l’IA, Microsoft et Google ont vu leurs émissions progresser de 48 % en cinq ans pour le géant de Mountain View, et de 30 % en trois ans pour celui de Seattle. Peu compatible avec leurs engagements climatiques.

De nombreux experts pointent que l’urgence sera donc de créer des modèles d’IA plus petits et plus adaptés aux besoins, voire de limiter les usages inutiles.

De quoi mettre un peu de baume au cœur de tous ceux qui, notamment dans les domaines de la création artistique, voient l’IA générative directement menacer l’exposition de leurs œuvres et leurs revenus.

Les géants du numérique pourraient bien devoir par nécessité suivre le conseil de Sasha Luccioni, car la consommation d’électricité de l’IA représente un coût exorbitant (autour de 3,5 milliards de dollars par an pour chacun à ce jour) qui menace la rentabilité d’une technologie qui , comme on l’a vu, a mobilisé des investissements colossaux qu’il faudra bien amortir.

A l’heure où la filière musicale s’applique à se décarbonner (en témoigne la récente étude menée par le CNM - Centre National de la Musique - sur les supports physiques) il convient de se demander si nous avons besoin de l’IA générative partout.

https://cnm.fr/communiques/restitution-du-projet-rec-reduisons-notre-empreinte-carbone/

Sauvée par la fée électricité… la musique n’avait pas connu ça depuis Edison et Jimi Hendrix !