Tech & Music Note

Tech, musique, cinéma, séries, édition... tout change et se mélange !

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Par Brice Homs
29 mars · 5 mn à lire
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Cerveau versus IA

La battle !

Le Cerveau - est plus grand que le Ciel -
Car - Mettez-les côte à côte -
L'un contient l'autre
Sans problème - Et Vous - en plus -

Le Cerveau est plus profond que la mer
Car - Tenez-les - Bleu sur Bleu -
L'un absorbe l'autre -
Comme L'Éponge - l'eau - d'un seau -

Le Cerveau pèse exactement le poids de Dieu -
Car - Pesez-les - Livre pour Livre -
S’ils diffèrent - ce sera comme -
La Syllabe et le Son -

Ce poème d’Emily Dickinson, pourtant écrit au dix-neuvième siècle par une jeune femme qui vivait recluse dans sa chambre, est peut-être la meilleure introduction au fonctionnement des réseaux de neurones humains, mais aussi ceux de l’intelligence artificielle.

Source unknownSource unknown

Faut-il à cette aune comparer les deux, Oui. Car l’intelligence artificielle, ou en tout cas les algorithmes dénommés comme tels, l’imitent. Ils fonctionnent par analogie et, depuis les recherches initiées par Alan Turing au début du XXeme siècle, ambitionnent même, en capacité au moins, de dépasser le cerveau humain.

Relisons bien les strophes du poème. Tout est là. Le contenu, le contenant, l’absorption, la différence entre le pensé et le produit.

Emily Dickinson, pâle jeune fille enfermée dans sa chambre avait-elle, comme Aristote avait eu l’intuition des atomes et Spinoza celle de leur mouvement, prédit l’intelligence artificielle ?

Non. Mais elle avait illustré comment marche le cerveau humain dont L’IA s’inspire dans ses mécanismes et avec lequel la machine se propose de rivaliser.

Source - Harvard healthSource - Harvard health

Elle l’avait compris comme Proust avait compris la lecture, son influence sur la formation de la pensée critique et de l’empathie.

Voilà une des thèses que la Neuro-scientifique Maryanne Wolf, professeure à UCLA et écrivain, développe dans son ouvrage Reader come Home, The reader brain in a digital world, publié désormais en français sous le titre : Lecteur reste avec nous, un grand plaidoyer pour lecture et préfacé par Joël Dicker.

S’appuyant sur de nombreux travaux scientifiques récents, elle montre en particulier le biais cognitif et émotionnel entre la lecture sur écran et la lecture sur support papier.

Ainsi une étude menée par l‘équipe du professeur Ziming Liu, de l’université de San Diego, montre en suivant les mouvements oculaires que la lecture en diagonale est devenue la norme lorsque nous lisons sur écran.

« Notre regard décrit le plus souvent une trajectoire en forme de F ou de zigzag, survolant rapidement les premières lignes avant de se contenter du début de chacune des suivantes, sur la partie gauche de l’écran, à la recherche de l’information pertinente pour, une fois celle-ci trouvée, aller au bout de la ligne. »

Ca vous dit quelque chose ? Rassurez-vous (ou pas), à moi aussi !

C’est que la physicalité a quelque chose de concret à nous offrir, tant sur le plan psychologique que tactile. Le toucher a quelque chose à voir, c’est le cas de le dire, avec notre rapport aux mots. « Une sorte de géométrie qui nous aide à comprendre ce que nous lisons ».

Mais surtout le support papier nous offre une autre chose inestimable : le temps ! Celui de ce que les scientifiques appellent la lecture profonde. Celui qui nous permet de « nous attarder davantage pour voir, reconnaître et comprendre, » mais aussi ressentir.

Savez-vous que quand vous lisez sur un livre imprimé un texte qui vous parle d’une étoffe de soie, les zones du cerveau correspondant au toucher s’allument – et pas dans le cas d’une lecture sur écran ?

Ressentir au lieu de simplement s’informer demande un temps d’imprégnation.

« Si la lecture est considérée comme un divertissement superficiel, elle restera à ce niveau superficiel, empêchant l’émergence d’une pensée véritable, au lieu de contribuer à son approfondissement. La lecture light devient une distraction parmi d’autres, habilement maquillée en volonté de se tenir au courant ».

On est loin de la « communication au sein de la solitude » que louait Proust.

émotions - source - Radio Franceémotions - source - Radio France

Et s’il y a un endroit qui met en partage et en résonance cela dans le cerveau c’est bien… la musique !

On connaît depuis longtemps l’importance de l’apprentissage de la musique sur le développement du cerveau humain, notamment chez les enfants en bas âge.

De la même façon on a établi depuis longtemps les bienfaits de la musique sur le cerveau adulte, comme le rappelle cet article de la Harvard Health school.

https://www.health.harvard.edu/blog/why-is-music-good-for-the-brain-2020100721062

Mais selon un article du Minnpost, signé par Susan Perry, une récente étude menée par des chercheurs de l’université de Shangaï va plus loin. Elle découvre en effet que l’audience et le musicien synchronisent leur activité cérébrale pendant l’interprétation d’un morceau. En l’occurrence ici douze morceaux de musique classique de deux minutes. Les mêmes zones du cerveau s’activent chez chacun au même moment. (Élément important, le soliste a reçu pour consigne de garder des expressions faciales neutres afin que la vue n’interfère pas). 

Connexion, et empathie. D’humain à humains.

Mais avant d’écouter la musique, il faut qu’elle soit créée. A ce sujet, l’intelligence artificielle générative aligne désormais de nombreuses applications qui se mettent directement en compétition avec le cerveau.

Source - SunoSource - Suno

Prenez par exemple Suno. Dès sa page d’accueil, l’appli vous propose sur une sorte de roue de la fortune de générer en quelques secondes une « chanson » sur n’importe quel sujet, les vacances, votre déjeuner, la cuisine de votre mère, votre poisson rouge…

Vous pouvez ensuite définir dans la barre de prompt des détails : style musical, et même « émotion souhaitée »… Suno va générer un « morceau » d’une minute trente, ou même plusieurs, que vous pouvez modifier, paroles et musique, mais aussi prolonger puisque qu’une fonction vous propose : Continue from this clip . Vous pouvez ensuite le télécharger et bien-sûr le partager.

Les sites compétiteurs sont nombreux, Mubert, MusicLM, Boomy, Soundraw, Stable audio, Beatoven… 

Ou Ripple, développé par ByteDance, maison mère de Tik Tok, qui vous propose de fredonner une mélodie et s’occupe du reste.

Source - RippleSource - Ripple

Selon leurs créateurs - et ils le proclament haut et fort - tout le monde pourrait être musicien, sans connaître la musique et sans jouer d’un instrument. C’est dit comme ça. Il suffirait bien sûr de passer commande. Pardon, prompt.

Et les plateformes de streaming comme Spotify travaillent à s’équiper de fonctions équivalentes.

On connaît la maxime tirée de La ferme des animaux d’Orwell : “ Tous les animaux sont égaux mais certains animaux sont plus égaux que les autres “

Alors grâce à ces outils, tout le monde sera-t-il égal ?

Les musiciens, les compositeurs, les paroliers professionnels, seront-ils plus égaux que les autres ?

Le marketing autour de ces sites vous fera croire que non (contre un abonnement de quelques dizaines de dollars). La neuroscience pourrait bien, elle, démontrer le contraire…

Je vous invite à regarder sur YouTube ce dialogue entre le professeur David Eagleman, spécialiste du cerveau de renommée internationale, Anthony Brandt compositeur de musique et professeur à l’université Rice de Houston, et l’historien des sciences Steven Johnson. Ils y abordent le processus de créativité du cerveau lors de la composition.

Source - YouTubeSource - YouTube

https://youtu.be/zG8KAfGmIIE?si=TFaaBmu44Ir6iSRJ

Je sais, vous n’avez pas le temps, et vous ne parlez peut-être pas assez bien l’anglais, alors je résume et traduit pour vous. (Merci qui ?)

Que nous disent-ils ?

Le cerveau passe plus de temps à rêver du possible qu’à traiter du présent, surtout quand il n’est pas occupé à une tâche qui exige sa concentration.

Nous pouvons ainsi parler de ce qui a été et de ce qui pourrait-être.

C’est toute la spécificité des humains par rapport aux autres espèces, le storytelling. Dans toutes les cultures les gens racontent des histoires. Par définition les histoires sont des mensonges. Alors pourquoi le cerveau s’intéresserait-il à des choses qui ne sont pas vraies ? Parce qu’il fabrique sans cesse des scénarios du genre : « et si… »

Le cerveau ne génère pas de la vérité, mais de la possibilité. Il créée.

Dans leur livre, The runaway species, comment la créativité humaine refait le monde, les deux chercheurs identifient dans le fonctionnement de la créativité les trois mécanismes suivants : courber, casser, et mélanger. (Bending, breaking, and blending)

Courber (Bending), c’est le principe d’une variation de Jazz, vous prenez une source et vous créez une nouvelle version en y introduisant de la nouveauté, vous tordez sa forme, vous la transformez. C’est ce que fait un pianiste de Jazz à partir d’un standard. Il le reproduit mais pas à l’identique.

Casser (Breaking) c’est le principe du téléphone portable. On invente une tour diffusant autour le signal, mais très vite cette tour est saturée alors les ingénieurs ont l’idée de la morceler en « cellules », des petites tours distantes auxquelles le signal s’accroche en se déplaçant. C’est d’ailleurs de là que vient le mot anglais « Cellphone ».

Mélanger (Blending), c’est marier des choses séparées. Regardez la mythologie, elle représente de multiples créatures mélangeant l’homme et l’animal par exemple centaures, minotaures, sirènes… Mais c’est aussi porter et transposer. Métaphore veut en grec ancien comme moderne dire transport.

A chaque fois que l’on met en route une démarche créative, que ce soit pour solutionner un problème ou pour créer quelque chose, nous combinons ces trois mécanismes.

La plupart du temps cela se fait de façon inconsciente. C’est dans l’équipement de base du cerveau. Mais ça aide grandement d’en être conscient. D’avoir une culture et une pratique répétée, travaillée, formée, qui vous permet de l’être. Vous pouvez alors partir de quelque chose qui est là pour vous en écarter.

Les deux scientifiques citent la méthode de Brian Eno, musicien et producteur de groupes comme U2 ou Coldplay.

Quand ils commencent un nouvel album et qu’il leur faut se renouveler, Brian Eno leur fait échanger leurs instruments quelques temps « Bono, tu joues la batterie, The Edge, tu es le bassiste » Et ça sonne vraiment mal. Bono n’est pas un bon batteur. C’est mauvais, mais c’est… différent. Et il y a parfois un petit fragment de ce qu’ils sortent dont on peut partir.

« C’est prendre le risque de faire quelque chose de mauvais de façon à ouvrir de nouvelles possibilités. »

Ainsi, la meilleure façon de progresser dans un processus créatif est de partir ailleurs pour faire un virage et revenir. Un effort de géant pour avancer d’un petit pas. C’est comme ça que le cerveau humain, conçu d’abord pour la motricité, avance… à la recherche perpétuelle du pas d’après. En constante inclination vers le futur. 

Anthony Brandt cite d’autres musiciens : Les Beatles essayaient d’explorer des choses différentes à chaque fois. Beethoven était obsédé par l’idée de ne pas refaire du Beethoven. « Le groupe Punk indé Dinosaur Jr voulait au départ sonner comme Black Sabbath, n’y arrivant pas ils se sont rabattus sur autre chose, qui fût en fait vraiment bon ! »

L’idée est de continuer à creuser, de dépasser l’idée première, qui n’est pas la meilleure mais la plus évidente.

Le premier prompt.

On est loin du résultat immédiat recraché en quelques secondes par un algorithme qui fera pourtant la même chose : Courber. Casser. Mélanger. Mais sans conscience critique. En cherchant le pas d’après comme on cherche le mot d’après sans avoir conscience de la phrase. Le fonctionnement du cerveau humain, de par les zones qu’il met en connexion, les fonctions qu’il met en imbrication et interdépendance, fabrique, lui, de la projection. De l’après…

Prendre le temps donc, de l‘émotion et de la rêverie. De l’erreur et de l’échec. De l’écoute et du choix. Et du long détour qu’il faut parfois pour avancer de presque rien.

Ce qu’on appelle la patience cognitive qui seule peut nous connecter aux émotions, à l’empathie et à la beauté, celle qui se cache sous la surface. 

Le légendaire producteur Rick Rubin (Run DMC, Beastie boys, Eminem, Linkin Park, Wu Tang clan, Red Hot Chili Peppers, Johnny Cash, Lady Gaga… ) ne dit pas autre chose dans son récent ouvrage The creative act, titré en français :  La créativité, un art de vivre .

“La patience est nécessaire au développement nuancé de votre œuvre. La patience est nécessaire pour « prendre en compte » de la façon la plus sincère possible. La patience est nécessaire pour façonner un travail qui résonne et contient tout ce qu’il a à offrir. Chaque phase d’un travail d’artiste bénéficie du fait de cultiver cette habitude. La patience se développe comme la conscience, par l’acceptation de ce qu’elle est.”

Le sous-titre du livre l’exprime bien « Peu importe les outils que vous utilisez pour créer, le seul véritable instrument, c’est vous. »

Pas mieux !