Tech & Music Note

Tech, musique, cinéma, séries, édition... tout change et se mélange !

image_author_Brice_Homs
Par Brice Homs
15 nov. · 4 mn à lire
Partager cet article :

Le streaming, un nouveau casino ?

On parie ?

Entre les évolutions de l’intelligence artificielle, les nouveaux modèles de rémunération du streaming et l’arrivée (massive) de nouveaux acteurs économiques, l’écosystème de la musique serait en train de passer de loterie à casino. Avant de crier bingo, voyons pourquoi, et surtout comment…

Tout d’abord Deezer vient de signer avec Warner Music un accord de type "artist centric" comme avec UMG (Universal) avant lui il y a quelques semaines. Et sur le même modèle. 

Cet accord, qui concerne pour l’instant le marché français, principal territoire de Deezer, affiche une ambition claire : récompenser la musique "engageante" et démonétiser les contenus non artistiques. 

« Il n'est pas possible qu'un stream d'Ed Sheeran vaille exactement la même chose qu'un stream de contenu non musical de pluie qui tombe sur le toit.», déclare Robert Kyncl, le CEO de Warner Music Group.  

Alors, comment ça marche ? 

Le modèle permet aux streams écoutés de compter double, à condition que « l'artiste en question attire plus de 1 000 écoutes par mois sur une base d'au moins 500 utilisateurs uniques ». Et de compter double encore si ces titres sont recherchés par les auditeurs dans l’algorithme et/ou placés dans leurs playlists. 

Une façon de contrer la fraude et d’évacuer de l’assiette de répartition des millions de contenus non artistiques. Deezer va aussi, comme Apple l’a déjà fait, démonétiser tout contenu de "bruit" sur sa plateforme et le remplacer par des sons d’ambiance produits « en interne ». 

Pour ce qui est des contenus musicaux, on attend maintenant l’arrivée dans la boucle de Sony. Et selon le magazine Billboard, Spotify devrait emboîter le pas sur certaines de ces modalités, dont la règle des 1000 streams…

Valoriser ceux qui apportent le plus de valeur ? Une bonne nouvelle. Mais pas pour tout le monde. Comme par exemple TuneCore, le distributeur musical utilisé par de nombreux amateurs et professionnels en devenir (propriété du groupe Believe) qui se verra directement impacté par ces restrictions, effet secondaire d’une intention vertueuse. 

« Nous travaillons avec Believe à des possibilités de promouvoir de véritables artistes qui ne bénéficieraient pas de ce bonus, nous sommes très attachés à la découverte de nouveaux artistes », déclare Ludovic Pouilly, le vice-président de Deezer, au journal Les Echos.

En attendant la possibilité technique d’un véritable « user centric » où chacun paiera réellement et seulement pour ce qu’il écoute ? Beaucoup restent dans cette attente.

Il faut en tout cas saluer dans cette avancée la position courageuse de Deezer, qui va devoir sur une période transitoire d’un an, avant déploiement à l’international, faire « tourner » les deux modèles en parallèles, ce qui générera un surcoût pour cette plateforme. 

Bien entendu ce modèle s’applique avant tout aux artistes « performers », mais Deezer est en dialogue avec la Sacem pour étendre l'application du modèle « artist centric » aux auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

Les œuvres rémunérées devraient donc l’être mieux. Ce qui aura pour effet d’augmenter encore la courbe de croissance des revenus du streaming, dont les prévisions suscitent déjà de nombreux appétits. Le music business est de retour. Sur un mode inédit et pourtant… vieux comme la bourse.

Source - Les EchosSource - Les Echos

Puisque l’on parle de ça, j’ai une nouvelle pour vous. Vous ne le savez peut-être pas encore mais vous pouvez désormais acheter des parts d’enregistrements ou de chansons, comme vous achèteriez des actions ou des sicav via votre conseiller bancaire. Plus besoin d’être un « gros actionnaire », vous pouvez le faire en « petit porteur ». Comment ? Je vous l’explique :

On a suivi avec intérêt depuis un an les spectaculaires rachats de catalogues, à coup de millions de dollars, par des fonds d’investissement comme Hipgnosis, qualifié par le journal économique Les Echos de : plan retraite des Papys-Rockstar. 

Dans le sillage de ces rachats, de nouveaux modèles éclosent, et l’on voit émerger de plus en plus de sociétés proposant à des artistes, compositeurs, éditeurs, labels (le spectre est large chez certains comme Beatbread) des avances sur des morceaux, des albums, des chansons.  Comment ? En vendant des parts de leurs albums ou de leurs chansons à des investisseurs. 

Source - BeatbreadSource - Beatbread

Beatbread propose ainsi des avances allant de 1000 $ à 3M $. Ces avances seront remboursées par les revenus du streaming et de la diffusion. 

A côté, et à l’instar des pionniers de Royalty exchange, une place de marché et site d’enchères, de nouveaux venus comme A-note, où Slicenote se taillent une belle place sur ce nouveau marché. 

Dernier en date, lancé en septembre dernier, JXBX (prononcez Jukebox), dirigé par une figure de l’industrie musicale Scott Cohen, ex Warner music et co-fondateur de The Orchard, propose à tout un chacun d’investir dans une chanson. 

Vous pouvez acheter directement sur le site des parts de chansons comme par exemple celles du groupe One direction. En fonction du potentiel du titre, les parts vont de 1,50 $ à 37,50 $. On y trouve aussi des chansons de Nick Jonas, Colbie Caillat, Major Lazer, Shawn Mendès ou … de parfaits inconnus sur lesquels vous pourrez miser. 

Source - JXBXSource - JXBX

Entre E-bay de la musique et fundraiser, proposant des actions rapportant sur 10 à 30 ans, ces sociétés fleurissent dans le paysage mouvant de l’industrie musicale. Sur quelle promesse ? 

Celle d’une rentabilité record et d’une prévision euphorique de la hausse des revenus du streaming. CQFD. Slicenote s’appuie ainsi dès sa page d’accueil sur les anticipations du cabinet Goldman-Sachs. 

Source - SlicenoteSource - Slicenote

Certains, comme le magazine Forbes du 27 juin 2023, voient dans ces nouveaux acteurs une opportunité plus intéressante pour les artistes que les fonds d’investissement « traditionnels » à la Hipgnosis ou Blackstone.

« Ces Megastars aurait fait plus de megadollars en laissant leurs fans acheter de petites parts dans une place boursière de la musique plutôt que de vendre tout le gâteau en une seule fois » note le journal. 

Sur un marché public, il n’y a pas de limite, là où les fonds d’investissements cherchent un rendement prévisible et stable. D’un rapport de 6 à 30, on passerait à 50 ou 100, voire plus, comme l’a été le ratio de rendement des compagnies de la tech.

Pour le comprendre, prenons un exemple très simple. Les billets de concerts se revendent bien, et à des tarifs tels que certains artistes se positionnent maintenant pour concurrencer ces « placements « sauvages ». Bruce Springsteen propose ainsi aux Etats-unis des billets « officiels » qui coutent jusqu’à…5500 dollars (5280 euros), un tarif plutôt remarqué lors de reventes au marché noir.

Le « Boss » assume : « De toutes façons, des sites de revente ou quelqu’un d’autre prendront cet argent. Alors, ce que je dis, c’est pourquoi cet argent ne reviendrait pas à ceux qui vont transpirer sur scène pendant trois heures ? ». 

Jon Landau, son manageur, tempère en expliquant au New York Times que seulement 11 % des places ont été vendues sur ce mode appelé « Dynamic pricing », un système déjà appliqué par les compagnies aériennes ou ferroviaires. Le reste des places s’écoulant à… 200 dollars, sauf au marché noir bien sûr.

Transposez ce mécanisme aux parts d’enregistrements ou de chansons, vous avez des promesses de rentabilité à faire tourner les têtes et chauffer les cartes bleues ! 

Ces sociétés se prévalent toutes de l’expertise des datas et de l’intelligence artificielle pour évaluer ici les bénéfices à venir, là le montant de l’avance pouvant être faite en fonction du gain prévu. Si cela peut s’avérer modélisable avec une faible latence pour des catalogues anciens et des stars iconiques, pour des artistes émergents et des stars en devenir, c’est sur la fan base en construction et sur un certain goût du pari qu’il faudra compter. 

Le monde de la musique servant souvent de laboratoire ou absorbant les premiers chocs qui se manifesteront ailleurs ensuite, certains observateurs se posent déjà la question de l’exportation de ces modèles vers d’autres formats d’œuvres comme les livres, les films, les tableaux… 

En attendant, comme le dit Jean-Michel Jarre « Regarder les datas, c’est comme regarder les étoiles, on voit le passé ».  Pour ce qui est du futur. Avec plus de 200.000 titres uploadés par jour. Reste une sacré part de risque. Comme dans tout investissement. 

« It’s all about gambling » disait le vieil Hollywood.

A vous de jouer…