(Surtout quand ils font grève)
Si le nouveau roman de Fabrice Caro a suscité beaucoup d’intérêt dans les milieux littéraires, il n’en n’est pas pour l’instant de même de ceux du cinéma.
Aucun scénariste n’a réagi. Ne liraient-ils pas ? Fabrice Caro a pourtant été adapté deux fois et avec succès au cinéma (Le discours - Zaï Zaï Zaï). Alors on ne se jette pas sur les adaptations potentielles ? Il faut croire que non. Pourtant le titre a tout pour les interpeller : Journal d’un scénario. Mieux : ce livre parle d’eux. De leur expérience. Et il n’y va pas, selon l’expression consacrée, avec le dos de la cuillère.
Travailler depuis plus de vingt ans dans l’industrie du cinéma et de la télévision sur deux continents vous apprend une chose : le nouveau roman de Fabrice Caro est parfaitement crédible et dans des modalités tout aussi tragi-comiques. Des scénarios détruits à force de concessions, de pressions. Des carrières aussi parfois avec, j’en ai vu.
(Pour être honnête et équitable, j’ai aussi vu des producteurs ruinés par des scénaristes ou réalisateurs incompétents, malhonnêtes et mythomanes.)
Une fois cela posé, restent les autres projets, les beaux, les bons, ceux qui se font, et font du bien. Ceux, qui au départ du roman font rêver Boris, archétype du personnage Caroïen, intelligent, sensible et plein d’une autodérision qui remplit comme elle le peut le vide intérieur laissé par une confiance en soi partie faire un tour ailleurs.
Boris est un amoureux du cinéma. Du cinéma français. Le cinéma dit d’auteur. Une déclaration d’amour, donc. Et un prétendant malmené (mal mené) par les mauvaises personnes, les mauvaises raisons, les mauvais choix. L’envie de réussir, de faire. Dans sa passion du cinéma, Boris trouve toujours, en amoureux aveuglé et en lâche consommé, les raisons de céder, de justifier, de comparer.
ATTENTION SI VOUS N’AVEZ PAS LU CE ROMAN ET PROJETTEZ DE LE LIRE, LE PARAGRAPHE SUIVANT CONTIENT DES SPOILERS (DIVULGACHAGE).
En gros nous assistons au massacre d’un scénario. Parti avec une ambition d’auteur, un film en noir et blanc intitulé « Les servitudes silencieuses » destiné aux acteurs Louis Garrel et Melanie Thierry, le projet, racontant le délitement d’un couple va se transformer petit à petit en comédie poussive, ou le couple glamour est remplacé par un couple… d’amis composé de Kad Merad et Christian Clavier, ce dernier jouant un extraterrestre doté d’un superpouvoir inédit : en pétant il peut immobiliser tout ce qui vit autour. Le nouveau titre est bien-sûr à la hauteur : « De l’eau dans le gaz ! ». Raconté avec la verve et la sensibilité de FabCaRo, le massacre est désopilant autant qu’attendrissant. Mais quand même, me direz-vous, il y va fort !
(FIN DES SPOILERS.)
Eh bien… pas tant que ça !
Le grand scénariste William Goldman raconte dans les deux tomes de ses mémoires, récemment traduites en français en un seul volume par Jean Rousselot aux éditions Capprici, quelques cruels épisodes comme celui où, par exemple, un agent lui fait croire que le réalisateur Stanley Donen gravement malade et devenu fou, est parti se terrer en Angleterre et ne pourra plus jamais tourner. Quelle n’est pas la surprise de Goldman quand il le croise deux ans plus tard en pleine forme et parfaitement sain d’esprit. Il avait juste la maladie de ne pas être représenté par cet agent, le célèbre David Begelman.
William Goldman (traduction Jean Rousselot) - Éditions Capricci
Aux même éditions, l’ogre Joe Eszterhas, scénariste de grand blockbusters comme Basic instinct ne mâche pas ses mots sur les producteurs et réalisateurs qui démolissent les scénarios, et les réécritures demandées.
Joe Eszterhas - À la conquête Hollywood - Éditions Capricci
Le grand Joe ne cache pas avoir parfois dû exercer ce que l’on pourrait appeler une certaine « pression physique » (comme par exemple planter un poignard taille Rambo dans la table en début de discussion) pour se faire respecter. Taillé comme un Hells angel, cheveux longs et barbe fournie, cultivant sa réputation de « badass », Joe Eszterhas peut en imposer. Il raconte quand même quelques histoires édifiantes.
Pour ma part j’ai, quand j’étais à Hollywood, vu deux excellents auteurs ayant écrit des « classiques », se faire traiter dans la presse spécialisée de « pires scénaristes du monde » pour un scénario dont les producteurs et le réalisateur n’avaient… pas gardé une seule scène intacte. J’ai eu le scénario original entre les mains chez un des deux auteurs qui m’a laissé le lire, sans le sortir de la pièce et sous promesse de confidentialité. Il était en effet cent fois meilleur que la bouillie portée à l’écran avec un casting improbable. Bien entendu, leur carrière ne s’en est jamais remise.
Nous sommes là dans des proportions d’absurdités proche du roman de Fabrice Caro.
Chaque scénariste à des anecdotes et des histoires comme celles-ci à raconter. J’en ai moi-même plusieurs du même niveau, comme par exemple celle d’une jeune comédienne avec qui j’avais développé l’adaptation de son premier roman, tiré de son histoire personnelle, pour une série télé. Au bout de quelques séances où à chaque fois l’on devait abandonner un des éléments du script, la production en était arrivée l’idée de génie de le transformer en comédie de Noël, puisqu’une grande chaîne en cherchait une à ce moment-là. Une caissière de supermarché en serait l’héroïne, « plus proche des gens ». Bien entendu ce n’était plus la peine de finaliser l’achat des droits du roman puisqu’on n’en gardait rien. La jeune actrice, courageuse et intègre, claqua la porte. Moi avec.
Voilà. Attablez-vous avec des scénaristes pour un café ou un diner, ils seront intarissables sur ce genre d’histoire
Joe Eszterhas - (traduction Mathide Trichet) - Éditions Capricci
Heureusement il reste donc les autres projets, ceux où réalisateur, auteurs et producteurs travaillent en intelligence et en confiance. Ceux-là donnent les meilleurs films. Ils sont précieux et parviennent à faire supporter les naufrages, les galères, les problèmes d’argent, et les huissiers qui vont avec (spéciale dédicace à mes banquiers successifs)…
Pourtant tout le monde aime les scénaristes. Surtout depuis qu’ils ont étés en grève.
Ces courageux scénaristes qui ont risqué leurs maisons, leurs retraites pour un peu de dignité, d’engagement, de respect du spectateur et de leur travail. Dans un monde d’investisseurs, de rendement et de profit. La rentabilité et les recettes qui la promettent, ou en tout cas sont censés la garantir, ont pris le dessus sur le risque, celui de déplaire ou de plaire.
La série « The offer » (Paramount + - 2022) en est un formidable et brillant contre-exemple. Elle raconte la bataille d’un producteur Albert S Ruddy, pour permettre à son réalisateur et son auteur de faire leur film comme ils l’entendent, contre les pressions des financiers, des exécutifs du studio, des acteurs stars, et même de la mafia qui veut l’empêcher. Vous avez deviné ?
The offer - série de Michael Tolkin - Paramount +
L’auteur s’appelait Mario Puzo, le réalisateur Francis Ford Coppola, et le film était… Le Parrain. Un des chefs d’œuvres du cinéma. Un vrai parcours du combattant (Ruddy a même été enlevé et passé à tabac). Un acte de foi. Qui nous rappelle que l’art est une question de risque. Mais qui est prêt à se battre encore pour un film, une série, un livre ? « It’s all about gambling », c’est à propos de risquer, disait-on autrefois à Hollywood.
On trouvera bien des raisons de le croire encore dans le livre d’Andréa Marcolongo, Patrice Franceschi et Loïc Finaz « Le goût du risque » qui sort ce mois-ci aux éditions Grasset.
« Célébrer la liberté, ne pas craindre l’incorrect, ne pas fuir la mort, chercher la bagarre, danser après l’échec, refuser l’abus des normes, tuer le principe de précaution, ne pas s’attarder à vivre, être pleinement l’homme ou la femme que l’on veut être, aimer la solitude, oser croire, chérir l’inutile, aventurer la vie sans cesse… »
Ce qu’ils proclament ressemble bien à la profession de foi de tout scénariste, romancier, auteur, musicien, bref artiste. Une certaine démesure. Sinon pourquoi nous battons nous ? Selon le mot (sans doute apocryphe) de Winston Churchill. Voilà sans doute ce que les scénaristes en grève de la WGA avaient en tête et au ventre…
Maintenant que tout le monde les aime les scénaristes, depuis qu’ils ont été en grève, il va peut-être enfin être temps de leur faire confiance, de leur donner la place et le respect qui leur sont dus et réaliser (aux deux sens du termes) que comme le disait Jean Gabin, l’acteur, qu’un bon film c’est trois choses : « une bonne histoire, une bonne histoire, et une bonne histoire ». Et peut-être aussi quelqu’un qui sait comment la raconter aux autres.
Chiche ?