Pour le meilleur et pour le dire...
Pourquoi et comment l'IA est l'avenir de la recommandation musicale.
Chaque jour plus de 100 000 titres sont uploadés sur les plateformes de streaming.
Apple Music annonçait la semaine dernière avoir dépassé le cap de 100 millions de chansons à disposition sur sa plateforme.
Face à cette profusion, une question vient à l’esprit, et chaque jour davantage. Comment découvrir de nouvelles chansons, de nouveaux artistes de qualité ?
Avec sa réciproque : comment faire découvrir ses chansons à une large audience qui pourrait les aimer quand on est artiste/groupe ?
100 millions de chansons, et moi et moi et moi….
La réponse est, sera, et ne pourra sans doute passer que par des intelligences artificielles. Reste à trouver et définir sur quelles modalités.
Deux expériences présentées ces jours-ci esquissent des modèles très différents, voire même opposés, mettant à contribution cette même ressource.
La semaine dernière Napster lançait PlaylistGPT, une intégration de ChatGPT et DAll-E permettant de générer une playlist à partir d’un simple prompt. Tidal et Soundiz proposent déjà des outils similaires. Et il ne fait aucun doute que d’autres vont suivre.
Selon un article de Cathy Applefeld Olson publié le 2 février 2024 dans le magazine Forbes, on pourra à partir de cette requête générer une playlist personnalisée et une illustration correspondante. Les abonnés pourront sauvegarder cette playlist dans son intégralité, les autres des extraits de 30 secondes de chaque titre.
La question est posée par Roman Tagoe (ancien directeur de l’éditorial chez Deezer, Napster justement, mais aussi BMG ou Sony) « Est-ce que l’éditorialisation des playlists est morte ? »
« La personnalisation et les playlists générées par IA permettront aux fans de modeler leur utilisation de la plateforme à leurs goûts et besoins. Il faut juste être sûr de pouvoir séparer le bon du mauvais. A charge de bons opérateurs éditoriaux de corriger et influer sur les sélections et données pour qu’elles soient pertinentes et de qualité ».
En somme, le fameux GIGO - Garbage In Garbage Out – (Bad input produces bad output)
https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7161674892512342016/
Même réponse chez Apple Music par la voix de Rachel Newman, sa directrice de l’éditorial, qui annonce : « avec autant de chansons disponibles, nous savons que vous avez besoin de quelqu’un pour vous guider. C’est à nous maintenant de vous aider à découvrir de nouveaux artistes et redécouvrir d’anciens trésors, que ce soit par les experts de nos radios, ou par des playlists faites à la main ».
Comme par exemple Apple music Today, des pastilles sonores présentant chaque jour une chanson et son histoire.
Roman Tagoe conclut : « La personnalisation et l’automation vont aller de façon croissante, apportant des outils de plus en plus satisfaisants aux utilisateurs. Le défi, pour nous, directeurs éditoriaux, dans le futur, sera de trouver de nouvelles façons de compléter ces outils pour partager notre passion et notre savoir d’une façon humaine. »
La passion, la culture, l’expérience humaine se révèlent donc indispensable en prolongement des intelligences artificielles. Notamment pour ce qui est des découvertes. Proches de ce que vous aimez déjà.
Et si c’était l’inverse ?
Si la solution était au contraire que ce soit l’intelligence artificielle qui vienne en relais de la prescription humaine et non le contraire. Pour vous emmener ailleurs.
C’est exactement ce que propose sur un mode visionnaire et novateur le site québécois Pan M 360 qui lançait le 25 janvier sa nouvelle formule.
Une plateforme fondée par Alain Brunet, figure de la critique et spécialiste de l’écosystème musical.
Comme j’avais rencontré Alain Brunet il y a quelques années lors de la parution de son ouvrage sur le nouvel écosystème de la musique « La misère des niches – musique et numérique, alerte sur les enjeux d’une mutation » » (2018), j’ai décroché mon téléphone, ou plutôt enclenché ma visio. Et je suis allé en parler avec lui.
Extraits :
« A Pan M 360, on est dans l’éclectisme extrême, il n’y aucune plateforme ni en Europe ni en Amérique du nord qui fait ça… On est 35 personnes, tous connaisseurs de bon niveaux. C’est l’expérience de Montréal, nous avons des gens qui sont afro-descendants, des gens d’origine asiatique, d’origine indienne, des gens qui sont des premières nations, des gens qui sont anglophones, c’est cosmopolite à la montréalaise. Tous ces gens ont leur réseau de connaissance, d’experts. Avec trente réseaux d’experts, tu finis par avoir un excellent réseau de connaissances. »
« On travaille pour des mélomanes, ce n’est le marché majoritaire nulle part, mais si vous additionnez les « petits marchés » de mélomanes et de fous de musique, vous arrivez au bout du compte à des millions de personnes sur terre… C’est un pourcentage infime de la population des pays, mais en même temps ça fait un marché réel. C’est extrêmement important que ce marché se développe, car ces gens mêmes s’ils sont minoritaires sont très importants dans l’évolution des sociétés. »
« Ce qui est important pour nous aujourd’hui, c’est de créer un modèle de constellation, un modèle d’archipel… par exemple additionne des plateformes qui font 60 000 usagers réguliers, tu en mets 50 en réseaux tu touches 3 millions de personnes… »
« Au bout de 4 années de fonctionnement, on s’est aperçu que les gens qui arrivent sur nos contenus y arrivent plus par des contenus uniques qu’en venant sur un média en tant que tel. C’est là où l’intelligence artificielle peut nous aider. Signes visuels sur les écrans, relais, le tag de cette constellation de découverte, les IA vont nous permettre d’aller à des systèmes d’interaction plus avancés que ceux que l’on a aujourd’hui. Plus attractifs et plus fluides »
« L’intelligence artificielle va nous permettre une prise de risque, celui de la curiosité, alors que les algorithmes tels qu’ils ont été conçus fonctionnent sur la similarité. »
« On est encore au début de cette idée-là, on essaie de trouver des modèles de pollinisation croisée qui fonctionnent sur cette promesse, il faut créer cette culture de l’éclectisme extrême. On croit à la prise de risque. N’importe qui qui veut s’élever a besoin d’être bousculé…»
Une fois terminée cette passionnante conversation. Je suis allé voir sur le site Pan M 360 comment ça marche.
Voici mon expérience.
Pas de page d’accueil tapageuse. Juste un petit logo dans un carré discret, au coin, à gauche. Ici la « marque » s’efface derrière le contenu.
Un éditorial, une interview ou une critique mise en avant, des rubriques en dessous et une première promesse tenue : celle de l’éclectisme.
Sur la page d’accueil se côtoient albums de musique classique, contemporaine, jazz, pop, rock, électro, hip-hop, chanson… tous les genres y sont représentés.
La deuxième promesse tenue est celle de la diversité et de l’expertise dans la prescription.
J’ai par exemple cliqué sur une première rubrique. La pianiste Irina Krasnyanskaya y propose trois choix d’artistes classiques, découvertes ou consacrés. Cette virtuose partage ses coups de cœur de l’année, et les explique.
https://panm360.com/records/programmateurs-trices-top-albums-2023-irina-krasnyanskaya-pro-musica/
Plus loin, une rubrique de Mickey.B.Rishwain, programmateur du festival M comme Montréal qui partage quatre albums: Sufjan Stevens, chanson. Ryan Celsius Sounds, lo-fi moderne avec une influence vintage. Model/Actriz, psyché industrielle, et +++ Crosses, « un Deftones expérimental plus moderne, avec une touche des années 80 ».
Là encore l’éclectisme est de règle, et à chaque fois un player intégré permet d’écouter les albums.
Je me suis pris au jeu, et en partant de Sufjan Stevens dont les albums me sont familiers, je me suis ainsi laissé emmener par Mickey.B.Rishwain vers la découverte d’autres styles, d’autres artistes que je n’aurais sans doute pas écouté sinon.
Pourquoi ? Parce que ce qu’il disait de Sufjan Stevens : « Sufjan sait manier les mots et les sentiments. Ce disque me tient chaud dans un monde de plus en plus froid. Il me rappelle que j’ai une âme et me fait ressentir des choses que je ne peux expliquer », m’a convaincu de lui faire confiance.
Ça marche donc ! (En tout cas sur moi).
Comme l’annonçait Alain Brunet « L’éclectisme extrême c’est une forme de ballade. ».
En tout cas un modèle humain qui renverse le paradigme de l’IA en plaçant la compétence, l’expérience humaine, et la sensibilité artistique au cœur (c’est le cas de le dire) de la prescription. Tout ce qu’un algorithme, fondé sur la similarité, ne saura pas faire, mais qu’une intelligence artificielle placée de la bonne façon pourra contribuer à faire circuler.
L’intelligence artificielle pour connecter l’humain à l’humain, résoudre l’équation entre la personnalisation et la globalisation, Pan M 360 propose une formule deux fois gagnante qu’il faudra suivre avec intérêt.
Car comme l’énonce, dans son brillant article sur Playlist GPT, Roman Tagoe: « l’éditorial humain révèle l’étrange, le merveilleux, l’inattendu. Il porte le frisson de la découverte et de la passion. »
Pas mieux !
Bonus
Pour jouer le jeu du passeur à mon tour, voici mes trois découvertes « coup de coeur » dans cette première expérience sur la plateforme Pan M 360 :
Ducks Ltd et son pop rock mélodique et lumineux. J’écoute « Train full of gazoline » en boucle depuis.
https://panm360.com/interviews-panm360/ducks-ltd-catchy-jangle-pop-about-human-follies/
Joseph Branciforte – Theo Bleckmann, un duo ambient électro-acoustique dense et habité.
https://panm360.com/records/pan-m-360-top-100-joseph-branciforte-theo-bleckmann-lp2/
Elisapie et son album de reprises, dans sa langue maternelle l’inukitut, de classiques de la pop, mêlant synthés trip-hop et rythmes traditionnels. Magnifiquement envoûtant.
https://panm360.com/gig_review/lhonneur-de-voir-elisapie-se-produire-a-chateauguay/
