On n’a jamais autant parlé des chansons !

Et vous ne le saviez pas…

Tech & Music Note
5 min ⋅ 09/10/2023

Vous commencez par les paroles ou par la musique ? À cette question (sans aucun doute la première que l’on s’entend poser quand on écrit des chansons) Serge Gainsbourg, citant Cole Porter, répondait invariablement : oui ! 

Cette réponse est contre toute attente la bonne pour les auteurs-compositeurs qui, souvent, écrivent les deux en même temps. Mais alors quand on est auteur et que l’on doit commencer par le texte ? 

Bernie Taupin, le parolier des chansons d’Elton John, explique dans ses mémoires qui viennent de paraître “ Scattershot, life music Elton John and me” (Hachette books), qu’il écrit ses textes avec une guitare à la main, mais ne présente à Elton John que le texte seul. Ce  dernier compose alors une mélodie très différente de celle qui a servi à le structurer et qu’il n’a jamais entendue. 

Hachette BooksHachette Books

Une chanson qui devient une autre chanson ? 

D’autres auteurs ont aussi utilisé cette technique pour poser leurs mots, comme un échafaudage que l’on enlève ensuite. Parfois même pris la mélodie d’une chanson préexistante comme « moule » pour façonner leur texte. 

Dans son essai « Comment se fabrique une chanson », Stéphane Chaudier, professeur de littérature à l’université de Lille et spécialiste des expressions contemporaines, en cite quelques exemples tirés du livre de Claude Lemesle, l’art d’écrire une chanson :

Serge Lama confie ainsi avoir écrit le texte de « Une île » sur la mélodie de « L’homme de la Mancha » de Jacques Brel.

Rêver, un impossible rêve… 

devient

Une île, entre le ciel et l’eau…

Pierre Delanoë dit avoir écrit le texte de « Mes mains » pour Gilbert Bécaud sur la mélodie de « Plus bleu que le bleu de tes yeux « de Charles Aznavour (pour Edith Piaf). Pascal Sevran et Serge Lebrail ont écrit pour Dalida « Il venait d’avoir dix-huit ans » sur la mélodie d’une autre chanson de Charles Aznavour « Comme ils disent ».  

En s’amusant à inverser textes et mélodies et les chanter, on constate en effet qu’ils se substituent exactement, nombre de pieds, découpe, césure et même accents toniques.  

J’échangeais il y a quelques jours là-dessus avec l’autrice Arlette Tabart qui me faisait remarquer : quand tu écris sur une autre chanson, tu as autre chose en plus, il y a déjà une interprétation. Autant dire une émotion portée. 

EyrollesEyrolles

L’écriture des chansons, sujet d’habitude peu abordé pour le grand public, est aussi ces jours-ci au centre d’une nouvelle production Apple originals « Flora and son » réalisée par l’Irlandais John Carney, déjà auteur des très musicaux films Once (avec Glenn Hansard) et New York Melody (avec Keira Knightley et Marc Ruffalo). 

Cette fois-ci l’héroïne, magnifiquement interprétée par Eve Hewson (fille… du chanteur de U2, Bono), est une mère seule avec son fils. L’arrivée dans sa vie d’une guitare récupérée dans une benne à ordure et quelques cours sur internet avec un professeur/songwriter (Joseph Gordon-Levitt), va lui offrir un nouveau monde et à nous l’une des plus belles - et justes - scènes jamais portée à l’écran sur l’écriture d’une chanson. Car c’est bien la question qu’elle lui pose : comment je peux faire ? 

Bouleversant de sincérité, mais aussi d’engagement, ce moment (et les suivants) parlera à toutes celles et ceux qui ont essayé un jour d’en écrire une. Et même surtout peut-être à celles et ceux qui y ont réussi. 

Contre toute attente, c’est ensemble qu’ils vont réussir à écrire la chanson qui fera la différence (à tous les sens du terme) pour l’un comme pour l’autre. Celle qui parlera à tous. 

source Apple originalssource Apple originals

Un motif que l’on retrouve également – décidemment parler de l’écriture des chansons est dans l’actualité - au coeur d’une autre production récente, sur Amazon prime cette fois-ci, et adapté du bestseller de Taylor Jenkins Reid : « Daisy Jones and the Six », qui met en scène l’ascension aussi fulgurante qu’éphémère d’un groupe de rock dans les années 70. Là encore, la clé du succès va se trouver dans l’écriture des chansons, et l’association entre un songwriter appliqué interprété par Sam Claflin, et une parolière tourmentée incarnée par l’incandescente Riley Keough (dans la vraie vie, petite fille… d’Elvis Presley !). L’alchimie entre les deux va faire des étincelles. Mieux : un feu dévorant. 

La scène où ils se réunissent dans la maison du producteur pour écrire ensemble leur première chanson, leur affrontement et leur accord final, illumine tout le processus de création, nourri par des heures de pratiques : de la vie d’abord, de ses souffrances, ses bonheurs et ses rêves, mais aussi de la musique et de l’écriture. Une affaire de sincérité, mais aussi de savoir-faire indispensable pour la mettre à nu. Avec là encore au bout, une bonne chanson qui touchera les gens … ou pas. 

Source Amazon PrimeSource Amazon Prime

Ces deux exemples illustrent avec ferveur et talent que l’on peut tout aussi bien répondre « oui » à la question « vous commencez par les paroles ou par la musique ? » sur une autre modalité. 

Depuis toujours des « équipes » d’auteurs et de compositeurs, comme certains groupes de rock, ont travaillé ensemble, réunis physiquement, dans le même lieu, ou en « ping-pong » à distance, se renvoyant versions et essais, les chansons. 

Cela peut leur prendre des heures, des jours, des semaines de travail. Les sessions des Rolling Stones étaient légendaires. Aujourd’hui encore on s‘enferme en « résidences d’artistes ».  On fait, on refait, on réécrit, on polit, on cherche la bonne syllabe, le bon phrasé, le mot juste, le bon accord, la bonne modulation, la bonne note, sans rien perdre du sens, du fond, ou aller carrément… ailleurs. Bref, des dizaines et des dizaines de versions pour arriver à la fin à une chansons qui paraît facile, aussi évidente que si elle avait été écrite en quelques minutes sur un coin de table. 

La question de l’inspiration et du travail est vieille comme la création. Bien sûr, cela vient parfois en cinq minutes sur un coin de table. Dolly Parton, toute jeune chanteuse à l’époque, a écrit « Jolene » et « I will always love you » d’un trait dans la même nuit. Deux immenses classiques et des succès phénoménaux. Benjamin Biolay parlant de sa chanson « Négatif » raconte : « Cette chanson-là, je m’en rappelle très bien, elle est venue d’un coup ». Etienne Roda-Gil a écrit le texte de Niagara dans le métro en allant l’apporter à Julien Clerc au studio d’enregistrement (il avait oublié de le faire). 

Oui, mais dans les autres cas ?

Quand j’animais des ateliers d’écriture de chanson au Studio des variétés ou aux rencontres d’Astaffort, j’avais pour habitude de dire aux jeunes artistes qui venaient échanger avec moi qu’« une chanson n’est pas un tout égal à la somme des parties ».  Je m’appuyais pour illustrer ma « définition » sur une interview d’Etienne Roda-Gil, que je cite de mémoire : « tu prends un texte chiadé et une musique simple, trois notes, tu as la définition d’un tube. Tu prends un texte simple, trois mots, avec une musique chiadée, tu as la définition d’un autre tube. Le mélange des deux, quelque chose d’élaboré des deux côtés, te créé un tas d’emmerdements ! ». 

Source: Liberté filmsSource: Liberté films

Quelque chose d’élaboré des deux côtés, de bons auteurs et de bons compositeurs peuvent parvenir à le faire, et surtout à le répéter. Cela demande du temps. Une forme d’apprentissage. D’entrainement. C’est en quelque sorte, et fût-il mineur, pour rappeler la polémique Gainsbourg/Béart, au sens propre du terme, un art (selon la définition du dictionnaire Larousse : ensemble des procédés, des connaissances et des règles intéressant l’exercice d’une activité ou d’une action quelconque).

La star des YouTubeurs musicaux, le producteur Rick Beato qui compte près de 4 millions d’abonnés, l’exprime dans une récente vidéo où il analyse, guitare à la main, les titres du TOP 10 de Spotify. 

https://youtu.be/xVcnsQS-eqQ?si=mXod24WgC9Kobn_Z .

Après une suite de plusieurs titres formatés et autotunés moulinant les mêmes beats et les mêmes trois accords, Rick découvre une chanson et lance enthousiaste : once again, a song written by professional songwriters ! Il arrête le stream et développe, « Vous pouvez reconnaître une chanson faite par des songwriters professionnels. Elle a un niveau de sophistication dû à des gens qui sont repassés dessus encore et encore. Ces songwriters professionnels ne s’arrêtent pas aux choses qui ont été faites des millions de fois, car eux-mêmes en ont marre ! ».

Source Rick Beato - YouTubeSource Rick Beato - YouTube

La chanson est en effet signée par Taylor Swift, Jack Antonoff et Annie Clark, trois songwriters d’expérience. On peut sans doute s’accorder avec Rick Beato pour dire que c’est là la définition d’une bonne chanson. Ce niveau de sophistication, même s’il ne se remarque que pour les oreilles les plus aiguisées, est la signature d’un vrai talent, d’un vrai travail, d’une véritable exigence. Pour faire une chanson d’apparence simple, mais originale, différente, juste, et terriblement efficace. 

L’amour de l’art et le respect du public par des gens qui y consacrent leur vie, leurs compétences, leur talent, et qui s’y sont dédiés depuis des années ou qui commencent chez eux, derrière leur écran d’ordinateur avec un logiciel d’enregistrement simple, un micro bon marché, et un cœur gros comme ça. 

Oui, vous ne le saviez pas, mais on n’a jamais autant parlé de l’écriture des chansons. 

 Et à l’heure où certains se plaignent qu’on n’en trouve plus assez, et où l’on s’inquiète à l’idée que les intelligences artificielles viennent supplanter les créateurs. Ça ne peut-être qu’une bonne nouvelle…

Tech & Music Note

Par Brice Homs

Ecrivain, scénariste, parolier, Brice Homs est un auteur tout terrain. Expert à la commisssion des nouveaux médias du CNC puis membre du conseil d’administration de la SACEM et premier président de son Conseil Stratégie et Innovation, il siège actuellement au conseil d’administration de la SDRM et à la commission de l’audiovisuel SACEM.