Tech & Music Note

Tech, musique, cinéma, séries, édition... tout change et se mélange !

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Par Brice Homs
24 oct. · 3 mn à lire
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La fin de la classe moyenne ?

La question se pose aussi chez les auteurs.

Un article récent du magazine belge Larsen titrait « La fin de la classe moyenne du secteur musical ? » et dressait le constat suivant : 

« Les petites salles seraient vides alors que les stades seraient pleins. Les petits et moyens festivals songeraient à fermer leurs portes, plombés par la hausse des charges et l’absence de public. L’industrie musicale se mondialiserait de plus en plus, favorisant les grosses stars. Et, en bout de course, les artistes de petite et moyenne importance boiraient la tasse, luttant plus que jamais pour survivre financièrement. En gros, c’est l’ensemble de ce qu’on pourrait appeler la “classe moyenne” des acteur·rices de la musique qui serait en train de couler à pic. »

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Alors qu’en est-il du côté de l’écriture ?

Dans son nouveau roman « A pied d’œuvre » qui vient de paraître aux éditions Gallimard, l’auteur Frank Courtés raconte l’impossibilité pour un écrivain, pourtant reconnu, de vivre aujourd’hui de sa plume. Il a pourtant derrière lui 5 romans salués par la critique et un prix littéraire. 

Mais même s’il passe à la prestigieuse émission « La Grande librairie » le soir, il doit dans la journée laver des vitres jusqu’à la tendinite et se briser le dos à porter des sacs de gravats sur des chantiers de bâtiment. Pourquoi ? Parce que les revenus générés par les ventes de ses romans ne lui permettent tout simplement pas de boucler ses fins de mois, ni même ses débuts. Dans un écosystème où plus de 500 romans paraissent à chaque rentrée littéraire (et il y en deux par an), seule une poignée de noms en haut des ventes arrive à s’en sortir, et même très bien. Les autres… 

Franck Courtès est lucide « Les artistes se distinguent des autres pauvres par le fait que dans l’imaginaire collectif ils appartiennent à une catégorie sociale à part. Ils ont en quelque sorte choisi leur pauvreté. On suppose de l’anarchisme dans cette pauvreté-là ».  

Ou une forme d’engagement.

Florent Oiseau, autre auteur reconnu, publie « Tout ce qui manque » ce mois-ci aux éditions Allary. Dans ce roman, il raconte l’histoire d’un écrivain pourtant apprécié qui doit partir dans une vieille maison de famille au fin fond de la campagne pour échapper à la rue. Essayant de reconquérir la femme qui l’a quitté, lassée de cette vie de galère, il y écrit… un magnifique nouveau roman. Est-ce que cela suffira ? 

Avec des revenus à la baisse, beaucoup, comme le héros de Florent Oiseau, doivent quitter Paris ou, comme Franck Courtès, garder ou trouver un travail à côté. Ils restent quand ils le peuvent proche de l’écriture, professeurs de lettres, journalistes, libraires, rédacteurs de pub. D’autres enchaînent les ateliers d’écriture, les interventions dans les écoles. Le reste, les petits ou grands boulots, écrivant tard le soir ou tôt le matin, ou prenant des congés sans solde. Avec des romans qui seront ce qu’ils sont, à essayer de suivre l’injonction de publier chaque année pour rester identifié des libraires et des lecteurs, et surtout toucher un “à valoir” dont le montant baisse avec les ventes précédentes.

Du côté des autres métiers de l’écriture, pas mieux : 

Les doubleurs et sous-titreurs souffrent des mêmes maux. « En 2022, constatant que leur rémunération en primes de commande n’augmentait pas ou très peu depuis près de 20 ans dans certaines sociétés, (…) les auteurs se sont fédérés en plusieurs collectifs qui, accompagnés par les organisations professionnelles (SNAC, UPAD et ATAA), ont négocié une revalorisation. » déclare un auteur de doublage, mais au cas par cas. Résultat : « Un écart qui se crée entre les auteurs qui travaillent pour les sociétés qui ont appliqué une hausse tarifaire en 2022 et ceux qui travaillent pour les sociétés qui ne les ont pas suivies et dont les tarifs actuels ne sont plus acceptables. Il n’y a donc plus de juste milieu, mais vraiment deux écosystèmes qui cohabitent en parallèle. » conclut-il. 

Les traducteurs de livre ne s’en tirent pas mieux. Avec le passage du feuillet calibré au feuillet électronique (et malgré une compensation forfaitaire de 15% loin de rééquilibrer une perte de 20 à 30% - multipliez par le nombre de pages), une inflation entre janvier 2006 et Janvier 2024 estimée par l’INSEE à 34,7 %, et des prix au feuillet qui eux n’ont quasiment pas augmenté depuis les années 2000, leur pouvoir d’achat aura baissé au bout du compte de 40% pour le même volume de travail et de commandes. Même les meilleurs n’y échappent pas, comme Simon Baril, traducteur de grands noms du polar ou de la littérature américaine et lui-même auteur d’un premier roman remarqué, Bleu guitare, aux éditions La tengo. Après dix-huit ans à vivre de sa plume, il songe à une reconversion.

 

S’ajoute pour l’édition un phénomène nouveau, la progression constante du marché de l’occasion. Une étude commandée par le syndicat des éditeurs l’évalue à 30% d’ici 5 ans. Un indicateur alarmant : les compagnons d’Emmaüs, dont une part significative des revenus venait des dons de livre de particuliers n’en reçoivent plus. Autrefois cantonnées à deux grandes enseignes, Gibert pour les livres et Boulinier pour les BDs, les offres fleurissent sur le net, des dizaines de plateformes investissent le créneau, même les grandes enseignes (Fnac) s’y mettent et les libraires, en bout de chaîne, multiplient les coins « seconde main » pour faire face à cette concurrence. Le magazine Télérama estimait dans un article du 21 avril 2023 qu’un polar sur deux est déjà acheté d’occasion. 

Évidemment, là-dessus, les auteurs ne touchent rien, et voient une nouvelle part de leurs revenus chuter dans des proportions importantes. 

Source - 20 minutesSource - 20 minutes

Un nombre croissant d’oeuvres et de parutions, des ventes qui s’éparpillent, des revenus qui augmentent pour le haut d’un petit top 10 en et chutent drastiquement pour le reste, des copies qui circulent sans que l’auteur ne touche rien sur leurs ventes…ça ne vous rappelle rien ? 

Le marché de la musique bien sûr !

Sujet que j’ai évoqué dans une précédente Newsletter, en tout cas pour ce qui est des auteurs et compositeurs de chansons, consultable sur le lien ci-dessous.

Partout l’écart se creuse un peu plus entre le haut et le bas. Les riches sont plus riches, les pauvres sont plus pauvres, et au milieu la classe moyenne se paupérise et disparaît. 

De nombreux acteurs de la filière s’alarment et se mobilisent, comme en témoigne cette conférence de presse lors du festival du Printemps de Bourges, l’an dernier.

Car c’est justement dans cette classe moyenne que s’exprime la diversité, et souvent apparaît la nouveauté. Jazz, rock, chanson, électro, hip-hop… tous les artistes évoluant dans ces genres ou ceux dits « de niche » se trouvent plus que jamais en difficulté. 

Pour soutenir ces créateurs, le Centre National de la Musique a décidé de pérenniser la bourse d’aide aux auteurs mise en place après la pandémie de Covid. Elle aidera ses lauréats à préparer un projet, financer un petit temps de travail et/ou renouveler un ordinateur, un logiciel de travail obsolète. C’est déjà beaucoup pour certains. Crucial pour d’autres. C’est dire où l’on en est.  

Les milieux artistiques ont toujours été des miroirs et des avant-gardes de la société. Personne ne s’attendait à ce que ce soit sur ce terrain aussi.

L’arrivée de logiciels « tous publics » d’intelligence artificielle fait craindre à certains un nouveau rétrécissement de cette peau de chagrin… et le retour à la case « amateurs » pour beaucoup de professionnels qui se retrouvent obligés de devenir ou redevenir bientôt artistes ET autre chose. 

« Et à part ça qu’est-ce que vous faites ? ». L’auteur Pierre Delanoë, qui en avait fait le titre d’un livre sur sa carrière s’en amusait, lui qui collectionnait les hits et les millions d’albums vendus. 

Aujourd’hui cette question ne fait plus rire personne.